John Eliot Gardiner champion de l’inouï

A un concept assez flou d’authenticité, les Anglo-saxons préfèrent l’appellation d’« interprétation historiquement autorisée » qui couvre toutes les époques et non la seule période baroque. Et c’est justement parce qu’il chevauche les époques que Gardiner (sir John Eliot pour les intimes) s’est imposé comme le chef le plus moderne de son époque. Il concentre désormais son action sur ses propres ensembles. C’est durant ses études à Cambridge qu’il fonde en 1966 le Monteverdi Choir avant d’aller étudier à Londres avec Thurson Dart et à Paris avec Nadia Boulanger. En 1968, ce sera le tour du Monteverdi Orchestra qui joue encore sur des instruments traditionnels. En 1974, il réunit les deux ensembles dans un enregistrement des Vêpres de la Vierge de Monteverdi qui fait date : « Monteverdi et Shakespeare sont deux génies essentiels qui vont révolutionner notre approche du théâtre. Tous deux réinventent la tragédie antique en rapprochant de nous ses personnages et en incarnant sur scène toutes les passions humaines de façon crédible. » L’objectif est de rechercher pour chaque époque et pour chaque lieu les instruments adéquats et de retrouver les pratiques interprétatives. En 1977, le Monteverdi Orchestra devient The English Baroque Soloists, un orchestre d’instruments d’époque, et le mouvement continuera avec la fondation en 1990 de l’Orchestre révolutionnaire et romantique destiné au répertoire du XIXe siècle. Entre-temps, ce grand amoureux du répertoire français a fondé l’orchestre de l’Opéra de Lyon qu’il dirige de 1983 à 1988 avant de reprendre, de 1991 à 1993, celui de la Norddeutsche Rundfunk à Hambourg. Ce sera son dernier poste permanent avec un orchestre symphonique mais il restera fidèle à quelques phalanges qui ont développé leur propre personnalité orchestrale : Gewandhaus de Leipzig, Orchestre national de France, Radio bavaroise sans oublier le très polyvalent Symphonique de Londres. Beaucoup d’orchestres sont aujourd’hui soucieux de retrouver leur propre personnalité sonore, tournant ainsi le dos à un phénomène de standardisation constaté à la fin du XXe siècle : « Des ensembles comme le Philharmonique de Vienne ou la Philharmonie Tchèque sont incomparables mais je crois que ce retour à l’authenticité n’aurait pas été possible sans le travail accompli par l’interprétation historiquement autorisée. » Tournant essentiel en 2000 : le chef décide de lancer un pèlerinage des cantates de Bach qui, un an durant, sillonne l’Europe et l’Amérique protestantes, exécutant chaque semaine les cantates propres à chaque dimanche selon le rythme de l’année liturgique : « Cette fascination dure depuis plus de 50 ans, lorsque j’ai appris à chanter ses motets. Bien sûr, ma perception de sa musique a évolué mais Bach est toujours resté au cœur de mon paysage musical. » En 2004, un autre pèlerinage le conduit cette fois à Saint-Jacques-de-Compostelle, ce qui ne l’empêche pas d’investir l’opéra français à l’Opéra-Comique, comme il le fait régulièrement avec Schumann, Beethoven, Brahms ou Berlioz. Et quand il ne dirige pas ses ensembles, il gère son domaine d’agriculture et d’élevage biologique. Une autre façon d’être authentique.

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