Patokh Chodiev, l’homme qui fait trembler le MR


Né à Jizak (Ouzbékistan) au printemps 1953, Patokh prend son envol en 1988 à Moscou, au ministère des Affaires étrangères de l’ex-URSS où il n’est alors qu’un apparatchik payé 350 roubles par mois. Il parle japonais et se consacre aux relations entre Moscou et l’archipel. C’est dans les couloirs de l’administration russe que sa route croise celle d’un homme qui deviendra mondialement célèbre pour avoir, en prévision de l’effondrement du bloc communiste, fait sortir l’argent du PC soviétique hors des frontières russes : l’homme s’appelle Boris Birshtein et tisse, pour le compte du KGB, un réseau planétaire de sociétés-paravents dénommées Seabeco. « En mai 1991, nous explique Chodiev, je suis venu lancer son bureau à Bruxelles » : Seabeco-Belgium, une officine pour barbouzes qui ne répondait à aucune logique commerciale : « Quelque chose clochait : il se moquait du business que nous pouvions développer. Et on voyait des millions de dollars passer sur les comptes, sans activité correspondante. » Patokh se tire de ce guêpier, mais il est sur les radars des services de renseignement, Sûreté de l’État comprise. Avec son ami russe (né au Kirghizistan) Alexandre « Sacha » Machkevitch, il crée d’autres sociétés belges (PMC Trading Co, Astas) et se lance par ailleurs dans le trading pétrolier : « En 1991, on achetait la tonne de pétrole à dix dollars, le transport local nous coûtait 4,7 dollars, on revendait à 140 dollars. Cette année-là, j’en ai vendu un million de tonnes… »
C’est aussi l’époque où Chodiev parvient à ouvrir, grâce à l’Union européenne, des lignes de crédit ahurissantes pour le Kighizistan et l’Ouzbékistan. Chodiev devient plus politique, il se rapproche du pouvoir absolu du président kazakh Noursoultan Nazarbaïev. Et en 1996, Chodiev commet un faux pas en droit belge : il achète en sous-main, pour compte du Premier ministre kazakh, des immeubles belges pour une valeur de 220 millions de francs de l’époque. Une époque, précisément, où un Premier ministre kazakh ne perçoit que 40.000 francs par mois. La gendarmerie belge enquête sur un possible blanchiment – via l’immobilier belge – de dessous de table versés au Premier ministre kazakh.
En 1997, Chodiev demande au Parlement la nationalité belge. Voisin immédiat de Serge Kubla, il s’installe à Waterloo dans une villa dont le revenu cadastral est de 15.000 euros, se fait aider par le libéral pour obtenir la nationalité belge et, au nez et à la barbe de la Sûreté de l’État qui intervient trop tard, Chodiev devient belge au mois de juin. Six mois plus tard, le géant mondial de l’aluminium Transworld vient déposer plainte au Parquet de Bruxelles en expliquant d’où vient la fortune de Chodiev : il se serait emparé par la force des documents juridiques sur lesquels était basée la privatisation de l’industrie kazakhe de l’aluminium et serait ainsi devenu (par un tour de passe-passe) magnat de divers minerais. C’était l’époque où il n’existait pas encore de registre de commerce russe ; il suffisait de s’approprier le registre des actionnaires et en déchirer les pages pour s’approprier une société ou toute une industrie. (Amusant: vers la même époque, «quelqu’un» déchirera dans la collection papier du Moniteur belge, rue de Louvain, les pages consacrées aux sociétés de Chodiev et consorts...)
Chodiev est-il si riche que cela? Riche à milliards, à ce moment: avec de tels procédés, il est devenu en Asie centrale le roi de la bauxite, de l’alumine, du chrome, du fer et de l’énergie. Son groupe paye à lui seul un quinzième du budget annuel de l’État kazakh.
Il s’est en outre créé – ce qu’on ne saura qu’en 2013 avec les révélations de l’OffshoreLeaks – un empire offshore avec une banque offshore aux îles Cook, l’International Financial Bank Limited. Tous les tiroirs de la finance secrète lui sont ouverts...
Pour la Belgique, le coup de tonnerre survient en 1999: la société Tractebel dépose plainte contre Chodiev et ses associés. Tractebel s’était vu ouvrir au Kazakhstan, grâce à Chodiev, le marché du transit du gaz, et elle a accepté en retour que Chodiev et consorts montent dans son actionnariat kazakh. Des commissions et frais de consultance circulent pour plusieurs dizaines de millions de dollars, jusqu’à ce que la justice suisse n’enquête et découvre de curieux flux d’argent qui partent vers la famille du Premier ministre kazakh et la famille du président Nazarbaïev (une pratique de montage kleptocrate qui sera amplement confirmée par l’OffshoreLeaks). Par ailleurs, le projet Tractebel se révèle un fiasco, probablement orchestré par le Kazakhstan afin de dépouiller la société belge...
Si, à l’époque, Chodiev fréquentait encore assidûment la Belgique, sa présence va devenir plus rare. Il se fait représenter par un escroc, cependant que la pression judiciaire monte. A-t-il, déjà à l’époque, corrompu le député bruxellois Philippe Rozenberg (Front National)? «Je ne lui ai jamais rien demandé ni payé», nous répond Chodiev.
En mai 2001, Chodiev est inculpé en Belgique pour blanchiment dans le cadre des immeubles achetés pour l’ex-Premier kazakh. Où est Chodiev? Le scandale WikiLeaks nous apprendra qu’en 2005, la famille Chodiev fréquentait le milieu mafieux ouzbek, auquel elle remettait de l’argent.
En mai 2008, le Parquet requiert le renvoi de Chodiev devant les tribunaux pour faux, association de malfaiteur, blanchiment. Il risque cinq ans de prison. Mais l’air de rien, il est alors devenu une star du stock exchange londonien, via sa société Eurasian Natural Resources Corp.! Une peine de prison ruinerait sa vie... Il démarche un bureau d’avocat parisien, lequel monte une équipe d’experts pour éviter à Chodiev la prison. Parmi eux, le Belge Armand De Decker qui lui obtiendra une transaction pénale: pas de prison en contrepartie de 23 millions d’euros. Fin provisoire de l’histoire.