Ne dites pas
Belgica,
dites Charlatan

Maart is Belgica maand, Mars est le mois du Belgica », avec des concerts et des DJ sets spéciaux. Si votre chemin passe par Gand, faites donc un arrêt au Vlasmarkt, et prenez un verre au « Charlatan ». C’est cet établissement qui est au centre du film réalisé par Felix Van Groeningen (La merditude des choses ou The Broken Circle Breakdown/Alabama Monroe, sélectionné pour les Oscars en 2015) . Et pour cause, c’est Jo Van Groeningen, le père de Felix, qui a transformé ce café de « pottepeï » en un lieu incontournable, « the place to be » de la nuit gantoise, plus qu’un café, un « muziekcafé », un temple de la musique, comptant 20 DJ’s maison et plus de 200 concerts par an.« Un café, mille histoires », c’est même le titre des deux pages que le quotidien De Morgen consacre ce matin à ce haut lieu qui compte trois salles, ouvert dès 20 h, avec des concerts à partir de 22 h. Hip-hop, rock’n’roll, country : tous les genres musicaux s’y côtoient, humains aussi – hommes d’affaires et étudiants, punks et danseurs. « Quand j’étais jeune, c’était un café pour petit vieux », racontait en 2014 au Morgen Luc De Vos, icône de la musique flamande, pilier gantois, et dont la mort il y a un an a plongé le nord du pays dans un deuil profond. Il décrivait alors le lieu comme un « ratjetoe », un capharnaüm où l’on voyait de tout, « des zievereirs comme des top biches le jeudi soir qui viennent danser sur du disco ». Un lieu qui servait de deuxième maison au chanteur.Ce mois-ci, quatre soirées spéciales proposent quelques-uns des groupes que le groupe d’électro rock (lui aussi légendaire) Soulwax, des frères gantois Dewaele, a choisis pour interpréter la bande originale qu’ils ont composée pour Belgica, à partir des musiques jouées au Charlatan. « Je voulais faire un truc sur le Charlatan », explique aujourd’hui le réalisateur Felix van Groeningen, « car j’étais conscient que ce petit café était devenu une institution avec tous les points positifs et les problèmes que cela engendre ». Pour cela, Felix, fils de Jo, a puisé dans ses souvenirs d’ado qui passait ses soirées avec son frère Seppe, derrière le bar de ce café tenu par son père, mais aussi dans les histoires des nouveaux propriétaires et clients du Charlatan d’aujourd’hui.Rien de banalC’est en 1989 que Jo Van Groeningen reprend ce vieux café. A l’époque, raconte De Morgen, il est mis en garde par Paul Couter, partenaire du chanteur Arno dans Tjens Couter : « Si tu reprends ce café, tu vas devenir fou. » De fait, le lieu se transforme en une sorte de feu de camp permanent, où on cuit des œufs à l’arrière, et où il y a toujours un musicien qui passe et s’arrête pour jouer un morceau. En 2000, Jo revend l’affaire aux Claes, qui font alors littéralement exploser le concept. Luc De Vos évoquait ainsi ce qui était devenu un centre culturel avant la lettre. Beaucoup de groupes flamands s’y sont produits, avant d’être connus.La personnalité de Jo Van Groeningen ne pouvait rien produire de banal. Le parcours de Jo et Béa, la mère de Felix et Seppe, tient en lui seul d’un roman que Seppe a d’ailleurs en partie écrit – Aards Paradijs –, et qui a été publié il y a quelques mois, avant la sortie du film de son frère. « Nos parents ont vécu plusieurs vies, inspirés par les idéaux de mai 68, pour évoluer ensuite », confiaient les deux frères au magazine Humo. Jo tombe amoureux de Béa, plus jeune que lui, lors d’une manifestation contre le nucléaire, ils s’installent à Laethem-Saint-Martin, puis partent pour la France où, durant un an, ils vont de marché en marché pour vendre des articles en cuir. Retour ensuite dans une ferme à Knesselare, où ils rejoignent avec Seppe qui vient de naître, des tantes, des oncles, des cousins, des cousines. « A Knesselare, il n’y avait pas d’eau, juste une pompe à l’extérieur, pas de TV, de journaux. Nos parents n’avaient pas besoin d’information de l’extérieur, leur vie était une fête. »Le sentiment de liberté, c’est ce qui tient le plus à cœur à Jo, qui travaille deux semaines pour pouvoir ne rien faire les deux suivantes. « Les idéaux étaient moins importants que sa liberté. Mon père pensait qu’un enfant était armé pour le monde extérieur s’il se développait dans un monde tout à fait fermé, où il pouvait évoluer en toute liberté », explique Seppe. Quand il reprend le Charlatan, Jo devient un homme d’affaires à sa manière, qui ne vise pas la croissance ou l’argent, mais à créer, explique Felix Van Groeningen. Souffrant d’une hépatite C, transformée en cirrhose du foie, le père vend son café et se retire au Portugal avec son amie, où il mourra deux ans plus tard, à 62 ans.« Nos parents ont connu le succès et ont été heureux, mais ils ont connu aussi la neige noire et la tristesse. » Le Charlatan est le fruit de ces personnalités. Ce samedi, dès 22 h, c’est Charlotte, chanteuse néo-soul, qui sera sur le podium pour le Belgica live. The real thing, du cinéma au Vlasmarkt…

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