Ces mères des quartiers inquiètes et amères

Vendredi, plusieurs familles, parents, frères et sœurs ont dû apprendre la nouvelle : le parquet de Bruxelles a requis des peines allant de deux à trois ans d’emprisonnement pour les émeutiers du 11 novembre. Latifa et ses amies ne sont pas de ceux-là. Pourtant, depuis que des émeutes se sont succédé – sans lien apparent – place de la Bourse après la qualification du Maroc, place de la Monnaie et avenue Louise, ces mères se sentent en quelque sorte visées.C’est que ces émeutiers auraient pu être leurs enfants. Certains de leurs fils sont passés par les cases IPPJ (Institutions publiques de protection de la jeunesse), voire prison. Aux prises avec ces réalités au quotidien, elles s’inquiètent de la tendance générale à la « tolérance zéro » comme unique réponse politique aux événements. « On n’a entendu qu’un seul son de cloche, qu’une seule voix, regrette Latifa Elmcabeni, porte-parole du Collectif des Madrés et par ailleurs mère d’un jeune rappeur, Azze2dine, accusé d’être à l’origine d’incidents dans la commune de Saint-Gilles la semaine dernière. Or nous expérimentons déjà cette politique et, pour nous, elle ne fonctionne pas ! »Le soutien des autres mèresLatifa Elmcabeni est à l’origine de ce collectif de « mères des quartiers populaires », comme elles se définissent elles-mêmes. C’est en voulant aider un jeune sorti d’IPPJ qu’elle découvre les difficultés de cette jeunesse-là et s’investit finalement corps et âme : « Il était impossible de trouver une école qui accepte l’inscription de ce jeune-là, vu son parcours. » Latifa commence à rencontrer d’autres jeunes et entre en contact avec différentes mères. Le collectif s’installe de façon informelle… Autant de mamans désemparées qui trouvent là un soutien : « Chaque cas est un exemple pour les autres, témoigne l’une d’entre elles. Cela nous fait du bien de voir comment les autres s’en sortent. »Sans perspectivesUn premier constat s’impose rapidement : le manque de lieux, de projets pour cette catégorie de gamins. « Ils aimeraient avoir un local, un endroit où se retrouver, rapporte Latifa. Pourtant, dans la commune, il y a beaucoup d’associations. Mais on n’y accueille que les adolescents sans problème. Et des enfants très jeunes : au-delà de 15, 16 ans, il n’y a pas plus grand-chose… Après 18 ans, c’est le vide. » Or nombre des individus dont on parle sont majeurs. Et présentent des parcours plutôt mouvementés. « Ils sont rejetés des écoles, des formations professionnelles. Où peuvent-ils aller alors ? Il n’y a plus que la rue. »Et le cercle vicieux se referme. « On leur dit “il n’y a rien pour vous ici”. Parfois ils se calment, mais ils retombent tout le temps… », déplore une maman. S’ils se tiennent à carreau un moment durant, un ancien délit finit par les rattraper. Pour ces proches de jeunes auteurs d’infractions, la présence constante d’une police de proximité accentue les tensions. « Sur le principe, je trouve que c’est très bien une police de proximité, nuance cette maman d’un jeune ayant séjourné en IPPJ. Mais dans la mise en œuvre, c’est catastrophique. On a parfois l’impression que c’est un jeu pour les policiers. Alors que les policiers les connaissent et que les jeunes traînent toujours au même endroit, mon fils me dit qu’il arrive qu’on les contrôle toutes les demi-heures. »Si ces mères dénoncent des abus policiers (perquisitions sans mandat, propos racistes, etc.) que le bourgmestre conteste (lire ci-contre), elles n’excusent pas leurs fils pour autant. « Tant qu’on n’est pas concerné, c’est normal de se dire que ce sont juste des délinquants, témoigne cette mère célibataire d’origine tunisienne. On me dit aussi : “Mais toi, tu es forcément avec ton fils.” Je ne suis pas avec ou contre mon fils, je suis avec la loi. Je fais tout pour la faire respecter chez moi. J’ai confisqué sa clef à mon fils, je le surveille. »Car ce que ces mères (souvent célibataires…) disent surtout, c’est l’impact énorme des actes de leurs enfants et des tensions avec les forces de l’ordre sur leur foyer. La confiance, d’abord, qui s’effrite. « Au début, on fait confiance à la police, rapporte une mère. “Tu as fait quoi ?” : c’est la première question qu’on leur pose. On ne croit pas à ces histoires d’abus. Les liens familiaux sont affectés. »Frères et sœurs traumatisésLes relations directes avec les forces de l’ordre génèrent aussi des sentiments de stress, voire d’humiliation : « On ne se sent pas écoutées, pas respectées, pointe Latifa. C’est très humiliant. » « Une perquisition au milieu de la nuit, comme j’en ai vécu une – alors qu’on pouvait juste convoquer mon fils, je crois – c’est très choquant, poursuit cette maman dont le fils a pris un mois de prison ferme. C’est mal vu par les voisins, ça terrorise les enfants : toute la famille est perturbée. »Cette mère-là ne trouve plus le sommeil, sursaute à chaque coup de sonnette. Dans cette autre famille, un adolescent, cadet d’un aîné bien connu des patrouilles, demande à sa maman pourquoi les policiers le regardent bizarrement. Dans un autre foyer encore, un gamin de huit ans se met à pleurer dès qu’il croise un policier ou un chien. Certaines familles finissent d’ailleurs par mettre leur enfant dehors. Latifa en recueille certains.Les tensions entre les jeunes et la police de proximité de Saint-Gilles sont telles que le délégué général aux Droits de l’enfant, Bernard De Vos, a été interpellé par les familles. Une série de jeunes ont été entendus : « Dans tous les cas, il en ressort qu’il y a clairement un souci d’ambiance général dans le quartier qui se cristallise sur la police Uneus (lire ci-contre). Initialement créée pour favoriser la proximité avec la population, elle est vécue comme une “Very irritating police” (le programme, parfois appliqué à la côte belge, consiste pour les policiers à identifier systématiquement les jeunes qui traînent en rue, NDLR). Il faudrait un dialogue structuré entre les parties, sous la houlette d’un médiateur extérieur. »Au-delà du problème propre à Saint-Gilles, le délégué général en appelle surtout à un meilleur accompagnement des parents et des familles – particulièrement les plus fragilisées – et à des lieux éducatifs de qualité. Les mères plaident pour une réelle politique d’insertion sociale.

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