L’UCLouvain veut lier la pénibilité à l’espérance de vie au travail

Le dossier des pensions passionne particulièrement les chercheurs de l’UCLouvain en cette rentrée académique. Ainsi, moins d’un mois après la parution du numéro 150 de Regards économiques, la publication de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires), le numéro d’octobre (à paraître ce mardi) est consacré à un autre aspect de ce dossier noueux : la pénibilité. Il est signé par Jean Hindriks et Arno Baurin.« C’est une réponse à l’opinion publique qui se demande si on peut avoir une définition des métiers pénibles », explique le Pr Hindriks, qui fut membre de la commission de réforme des pensions et signataire du rapport complémentaire sur les métiers pénibles. « Et cette réponse est oui, de façon plus ou moins fiable. »Dans leur démarche, les deux chercheurs devaient prendre en compte une série de demandes exprimées lors des négociations menées sous la législature écoulée mais aussi dans la Déclaration gouvernementale, dans le rapport des deux conciliateurs désignés par le gouvernement et dans l’avis annexe sur les métiers pénibles de la Commission de réforme des pensions. « En résumé, notre indicateur de pénibilité doit être relatif (c’est-à-dire construit par rapport à un métier de référence) », mesurable et révisable (en fonction de l’évolution de la pénibilité des métiers).Constatant les difficultés rencontrées par la « méthode directe » (celle qui consiste à évaluer la pénibilité d’un métier dans son cadre et sur base de critères objectifs), les deux chercheurs ont opté pour une approche « indirecte ». Ils ont décidé de mesurer la pénibilité à l’aune de deux paramètres : l’espérance de vie des personnes à l’âge de 25 ans en fonction de leur profession et la santé autoévaluée (SAE) des personnes en fonction du métier exercé, c’est-à-dire la manière dont elles perçoivent leur état de santé. En somme, « nous avons voulu mesurer l’impact du travail sur la santé », résume Jean Hindriks. Et en essayant au maximum de corriger les biais induits par cette méthode.Dix ans d’espérance de vie entre la secrétaire et le militaireLe premier critère prévoit de travailler sur base de l’espérance de vie à 25 ans par profession. L’exercice a été réalisé au départ des données américaines issues du « National Longitudinal Mortality Survey, 80-90s ». « L’utilisation de données étrangères peut surprendre », écrivent les auteurs. « Malheureusement, nous n’avons pas pu nous procurer, à ce stade, de données belges. Notre analyse garde, néanmoins, toute son importance car elle permet d’expliquer une technique scientifique permettant d’objectiver la pénibilité des métiers qu’il suffira de transposer à des données belges. »Les deux auteurs ont choisi de partir d’une profession de référence : secrétaire. Au départ de celle-ci, mesure étalon de la pénibilité professionnelle, les autres métiers obtiennent un différentiel négatif (car plus pénibles) ou positif (car moins lourds). Celui-ci pourrait donc être traduit en un coefficient applicable à chaque année de vie active, dans le cadre d’un régime de pension à points ou de compte épargne pension. A titre d’exemple, l’espérance de vie à 25 ans d’une infirmière est de 47,98 ans, tandis que celle d’une secrétaire est de 52,76 ans. La femme en blanc obtient ainsi un indice de pénibilité de 0,23 par rapport à l’employée de bureau. Le militaire est encore plus mal loti : il dispose (en moyenne) de 42,48 années devant lui, ce qui lui vaut un indicateur de 0,65.Le deuxième critère est, lui, davantage subjectif : il s’agit de la santé autoévaluée (SAE). Malgré le risque de biais lié à l’autoévaluation, ce genre de questionnaires est régulièrement utilisé dans la littérature médicale, expliquent les auteurs. Qui, pour la circonstance, ont utilisé une base de données européenne de 2015. Ils ont à nouveau déterminé une profession de référence, enseignant, à partir de laquelle ils ont pu établir un indicateur de pénibilité positif ou négatif pour les autres professions.Ce choix de deux professions « zéro » différentes pour les deux indicateurs pourrait être contesté si une telle méthode devait servir à construire des critères d’évaluation de la pénibilité professionnelle. « Nous étions obligés de prendre un métier de référence, explique Jean Hindriks. Car la pénibilité est par définition relative. Mais il n’existe pas de corrélation entre les deux critères retenus. » Après, il convient encore de construire des coefficients pouvant s’appliquer aux cotisations de pension et/ou à la durée de la carrière. Un exercice que ne mènent pas les deux chercheurs, celui-ci revenant au gouvernement, aux partenaires sociaux et à la société. « Il faut voir aussi comment on peut prévenir ces risques », insiste-t-il encore.Dans ce cadre, la méthode « indirecte » proposée par l’Ires constitue une base intéressante pour objectiver les risques liés au travail. Et cela en répondant aux attentes des différents acteurs de ce dossier. En la circonstance, c’est déjà un grand pas.

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