Entre rencontres et contestations,
les opposants se racontent

Elle a pris tout le monde de court. Il y a deux semaines, une manifestation contre les mesures sanitaires rameutait 35.000 personnes à Bruxelles, selon la police (des participants évoquent plusieurs centaines de milliers de personnes). Le cortège, d’abord pacifique, tourne aux scènes d’émeutes, avec un bilan de trois policiers et un manifestant blessés. Des figures de la scène identitaire et d’extrême droite sont repérées, comme des drapeaux nationalistes flamands. Autant dire que le deuxième épisode de cette manifestation, prévu ce dimanche à Bruxelles, est surveillé comme le lait sur le feu.Des francs antivaxaux parents inquietsMalgré les critiques et les comanifestants extrémistes, que trouvent ces contestataires covid dans ce mouvement ? A l’organisation ce dimanche, Belgium United for Freedom a pris les devants avec son fondateur Sarkis Simonjan. Cet ancien steward de Ryanair (qui s’était fait connaître au moment de son licenciement) appelle à une « manifestation pacifique et apolitique », qui rassemblera « des milliers de personnes ». Sur son profil Facebook, il dénonce « l’ingérence sanitaire », « les médias corrompus » comme la « manipulation mentale » et l’« obligation vaccinale pour tous ».Le mouvement de protestation contre les mesures sanitaires est composite, bigarré, rassemble des personnes aux idées très différentes : des mouvances identitaires, en passant par des partisans du new age, des chrétiens fondamentalistes, des parents inquiets, des complotistes, de francs antivax comme des non-vaccinés contre le covid qui font volontiers leurs rappels de tétanos… L’archétype d’une nébuleuse (souvent résumée aux antivax) difficile à appréhender et dénoncée de tous bords.« Cette épidémie devient une épidémie des non-vaccinés. La situation à Bruxelles n’est ni acceptable, ni tenable », indiquait à la mi-septembre le Premier ministre Alexander De Croo. De fait, les non-vaccinés sont surreprésentés dans les hôpitaux. Face à ces critiques, les protestataires interrogés évoquent de la tristesse, de l’indifférence, de la colère… Mais pas de quoi les convaincre, bien au contraire.Même la présence de l’extrême droite (pas anecdotique, puisqu’elle s’est retrouvée au cœur de l’organisation le 21 novembre, selon une enquête du Standaard) ne suffit pas à ébrécher leurs convictions. Faites votre choix : contre le pass sanitaire, le vaccin, les obligations vaccinales en tout genre, les confinements, le port du masque – tous jugés inefficaces ou inutiles –, les décideurs politiques jugés illégitimes, voire pour dénoncer un complot des firmes pharmaceutiques…Se libérer de l’impuissanceHans Blanckaert, patron de café à Bruges et figure de la mouvance Belgians for Freedom, n’avait « jamais manifesté de [sa] vie », raconte au Soir ce converti aux théories les plus déroutantes. Malgré leurs dissensions, les manifestants ont le sentiment d’enfin faire bouger les lignes. « Je suis optimiste pour l’avenir, les gens vont se réveiller. Je veux bouger pour changer les choses en bien », continue Nico (prénom d’emprunt), qui s’informe désormais sur Telegram et a bien l’intention de retourner manifester dimanche. « L’action politique vous libère d’un sentiment d’impuissance. Beaucoup de gens ont vécu le confinement, les mesures comme quelque chose d’injuste. Vous êtes coincés chez vous, vous ne pouvez qu’attendre que ça passe… », analyse Olivier Klein, professeur en psychologie sociale à l’ULB et spécialiste des mouvements complotistes.Virginie Van Lierde, elle, a toujours été militante. « Il y a une vraie puissance citoyenne », s’enthousiasme la cofondatrice de Trace ton cercle (un mouvement de « protection de la jeunesse, pour leur santé mentale » et qui dénonce la vaccination des moins de 25 ans). Elle veut croire à son petit impact sur la marche du monde. Et surtout, depuis la Boum qui a forgé ses convictions, elle a « rencontré des gens fantastiques », y compris parmi les membres du mouvement Covid rationnel.« Maintenant,tout le monde se parle »« Toute une série de lieux de socialisation ont disparu » durant les confinements, pointe Olivier Klein. « Mais une autre forme de socialisation s’est recréée, notamment en ligne. Et une fois qu’on sort du confinement, ces contacts peuvent devenir hors ligne. Il y a une reconfiguration des liens sociaux. L’isolement est anxiogène et on recherche du lien social. A travers ce type de mouvement, on retrouve d’autres formes d’appartenance et de liens sociaux. » « On travaille tous pour le bien commun. Je n’ai jamais rencontré d’aussi belles personnes, on est tous frères et sœurs, il n’y a pas de race. Dans la manifestation du 21 novembre, j’ai rencontré des militaires étrangers, allemands… Des gens que je n’aurais jamais vus autrement », continue Nico.« Avant, dans mon café, tout le monde avait le nez sur son téléphone. Maintenant, j’accueille tous les non-vaccinés et les antipass. Et tout le monde se parle », raconte Hans Blanckaert au milieu de son argumentaire sur la « protection des enfants », la vaccination, le fait de « penser par soi-même » et les appels au soutien de l’armée et de la police.« On a créé une lecture du paysage social avec des gens vaccinés d’un côté et des non-vaccinés de l’autre (alors même qu’il y a énormément de différences au sein de ces groupes) », explique Vincent Yzerbyt, professeur de psychologie sociale et culturelle à l’UCLouvain. « Cette césure, mise politiquement en avant, enfonce le clou sur quelque chose qui force des personnes à se définir comme appartenant à un groupe face à un autre. » Avec le risque, au fil des critiques et des mesures de coercition, de renforcer, voire de radicaliser les convictions.Car pour l’heure, seuls les PTB et le Vlaams Belang écoutent et participent (parfois de manière opportuniste) à ce mouvement. Les autres partis politiques, gênés, semblent incapables de se saisir frontalement de la question.

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