Un concours d’entrée et un accord historique sur les numéros Inami

Cet accord, c’est vraiment un signe de maturité d’un Etat fédéral où les différents niveaux de pouvoir se montrent capables de fixer ensemble un accès à des études et à une profession réglementées. » La ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Glatigny (MR) est enthousiaste. Il faut dire qu’elle et Frank Vandenbroucke (Vooruit) semblent avoir réussi là où leurs prédécesseurs avaient échoué : enterrer la hache entre Flamands et francophones sur l’explosif dossier des numéros Inami des étudiants en médecine et dentisterie.Le problème date du milieu des années 90 quand, persuadé qu’un surplus de médecins entraîne des dépenses inutiles en soins de santé, le pouvoir fédéral décide de contingenter l’accès aux stages de spécialisation (minimum trois ans après les six années d’étude). En gros, il fixe six années à l’avance le nombre de jeunes diplômés qui pourront entamer une spécialisation (médecine générale comprise) à l’issue du master. A charge des Communautés – responsables de l’enseignement – de limiter l’accès aux études. La Flandre s’y est attelée avec ardeur, mettant rapidement en place un concours d’entrée. De son côté la Communauté française a joué aux essais-erreurs : test non contraignant, concours en fin de bac, concours en fin de première, voire accès libre… A l’exception de la dernière, lesdites mesures ont fait l’objet de nombreux recours en justice, souvent gagnés par les étudiants. La Fédération Wallonie-Bruxelles a donc produit un surplus de médecins par rapport aux quotas et a négocié leur accès à la profession en puisant dans les quotas des années suivantes…Jusqu’au jour où, brandissant le respect des règles par la Flandre, la ministre Maggie De Block a mis fin à la prodigalité des francophones, les sommant de remettre les compteurs à zéro. En 2017, les deux entités ont échangé l’accès à la profession de milliers de jeunes en cours d’études contre un lissage négatif (le remboursement des numéros trop perçus) et un « filtre à l’entrée efficace ». Ce fut le début des premiers examens d’entrée. Sauf que ledit filtre a ses limites : avec 1.227 lauréats au terme des sessions de l’été 2021, il y a au minimum deux fois plus de médecins potentiels que de numéros Inami disponibles dans six ans. Pendant ce temps, la Flandre, elle, continue sa sélection drastique. Difficile dans ces conditions, pour les francophones, de plaider leur bonne foi, même en cas de pénurie avérée.Cet été, précisément, le ministre Frank Vandenbroucke leur a rappelé leur petit devoir : ou bien ils s’alignent sur le bon exemple flamand ou bien c’est l’Inami qui se chargera de sélectionner les médecins à la fin du master. Au final, après avoir tout donné pendant des années pour venir à bout d’études parmi les plus dures qui soient, 1.500 jeunes médecins pourraient être privés de pratique professionnelle. Un projet de loi, validé par les francophones du gouvernement fédéral, était prêt à servir de couperet.C’est donc sous la contrainte que Valérie Glatigny a négocié avec Frank Vandenbroucke. Sous la contrainte mais pas sans résultat. On fait bref, dans le grand accord détaillé ci-dessous, les francophones perdent d’abord une part de liberté : à partir de 2023, ils vont, comme les Flamands, filtrer l’accès aux études de médecine via un concours d’entrée. Par contre, ils vont gagner beaucoup : jusqu’à plusieurs centaines de numéros Inami supplémentaires et une garantie d’accès à la profession pour tous les étudiants surnuméraires. Voici les détails de l’accord des braves.1Un numéro pour tousFrank Vandenbroucke nous le disait dans l’entretien qu’il nous accordait il y a quelques semaines : « Il faut sécuriser les étudiants en cours d’études. » Ce sera chose faite : tous les étudiants actuellement dans le cursus de médecine ont la garantie de recevoir un numéro Inami à la sortie des études. « Ceci sans que cela ne constitue une nouvelle dette pour l’avenir », ajoute Valérie Glatigny. « Les excédents par rapport aux quotas seront orientés par les Communautés prioritairement vers les spécialités en pénurie. » La liste de ces spécialités sera établie en concertation avec la conférence interministérielle de la Santé publique. La médecine générale devrait en faire partie : « Nous pourrions aller au-delà de la part actuelle de 43 %, mais on ne veut pas fixer ça une fois pour toutes parce que, demain, on peut aussi avoir un besoin plus important de gériatres ou de pédopsychiatres, par exemple. » On estime que 1.500 étudiants sont concernés (le chiffre exact ne pourra être établi qu’au terme des études), soit ceux qui sont entrés en 2018, 2019, 2020 et 2021. Ils sont donc rassurés à la veille de leur session d’examens. Leurs collègues ayant entamé les études en 2016 et 2017 sont, eux, immunisés : les premiers parce qu’aucun quota n’avait été fixé cette année-là ; les seconds parce qu’ils font partie de la première levée de l’examen d’entrée, lequel avait produit moins de candidats que le quota disponible.2Des quotas revus à la hausseLe nombre de numéros Inami attribués sera dorénavant défini via une nouvelle méthode de calcul. On laisse donc tomber celle qui tenait compte de la population wallonne ou flamande et de la population scolaire à Bruxelles pour adopter la méthode mise au point tout à fait récemment par la Commission de planification fédérale. Elle a pour principal intérêt d’objectiver finement les besoins du terrain ainsi que l’activité réelle des soignants. Pour intérêt aussi de tenir compte de tous ceux qui partent ou retournent exercer à l’étranger avec un numéro Inami belge (c’est typiquement la situation de centaines d’étudiants français). « En appliquant cette méthode de calcul, on passera en 2028 à 711 numéros pour les francophones au lieu des 505 actuels (en réalité 612 réduits à 505 pour payer les dettes du passé, lire point 4). De son côté, la Flandre bénéficierait de 1.058 numéros au lieu de 905. »3Des généralistes supplémentairesL’accord apporte une attention particulière à l’offre de médecins généralistes, du point de vue du nombre et de leur répartition géographique. Première mesure : en 2028 (pour ceux qui entreront en septembre 2022), le sous-quota de médecins généralistes sera augmenté de 10 %, soit environ 33 numéros supplémentaires, ce qui porterait le total de numéros Inami pour cette année-là à 744. En parallèle, « nous demandons à la Commission de planification d’analyser l’impact de la crise sanitaire sur l’offre de médecins généralistes, pour vérifier dans quelle mesure ils ont été impactés ». Il est aussi question de prendre langue avec les Régions wallonne et bruxelloise pour doper les incitants à une meilleure répartition géographique des généralistes. Au final, l’année 2028 (pour ceux qui entameront les études en septembre prochain) donnera un accès à la profession à près de 250 médecins francophones supplémentaires (744 garantis à cette échéance moins 505 aujourd’hui, soit 239 exactement).4Annulation de la dette du passé« Pour rappel, dès 2016, la mise en place d’un concours de fin de première était conditionnée à l’objectivation des besoins réels en Fédération Wallonie-Bruxelles, mais personne au gouvernement fédéral de l’époque (où le PS n’était pas) n’a été en mesure d’objectiver ces besoins », rappelle au Soir l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur Jean-Claude Marcourt. « Le gouvernement fédéral n’a ainsi jamais sorti l’Arrêté royal fixant les quotas par Communauté qui aurait sécurisé le concours d’entrée. » On a alors abandonné ledit concours pour créer l’examen d’entrée. On sait qu’en 2017, Maggie De Block (Open VLD) a, en échange de cet examen d’entrée, donné la garantie aux étudiants surnuméraires de l’époque d’obtenir un numéro Inami. Mais pas gratuitement : les francophones étaient tenus de rembourser cette dette (1.500 numéros environ) en réduisant chaque année le quota officiel pour atteindre un nombre artificiel de 505, jusqu’à apurement total. Le processus devait durer une bonne dizaine d’années.Récemment, la commission de planification a refait les comptes, estimant qu’il restait un peu plus de 600 numéros à rembourser. A l’occasion de cet accord, Frank Vandenbroucke a proposé de poser un « geste politique vraiment inédit en annulant purement et simplement cet excédent historique. Je pense qu’il veut sincèrement régler ce problème vieux de 25 ans. C’est ça qui m’a déterminé à rentrer dans le deal », dit Valérie Glatigny. « Si on a vraiment la garantie qu’on objective nos besoins et que nous, de notre côté, on les rassure avec un concours, il se peut qu’on tienne là une solution à un problème tout pourri depuis 1995. »5Un concours d’entréeEn contrepartie logique de ces propositions favorables aux francophones, il y a un engagement à faire correspondre le nombre d’étudiants admis à la formation avec les quotas officiels. Et cet engagement s’appellera, comme en Flandre, « concours d’entrée ». Il entrera en vigueur en 2023 (lire point 6). A l’inverse de l’examen d’entrée qui ouvre les portes des facultés de médecine à tous ceux qui le réussissent, le concours limitera l’accès aux mieux classés. Le nombre de lauréats sera calqué sur le quota de l’année de sortie concernée augmenté d’un taux de déperdition (redoublement, abandon, réorientation…). Ce taux n’est pas encore fixé mais, après discussion avec les universités, il pourrait tourner autour de 23 %, portant le nombre de lauréats à 900-950 environ. « En fait, l’effet conjugué des quotas relevés et du taux de déperdition donnera un chiffre pas très éloigné du nombre de lauréats du dernier examen d’entrée ».Une certitude, pour valider l’accord, deux partis au moins – le PS et Ecolo – ont dû faire réviser certaines positions. « Mais vous savez, pour les Flamands voir les francophones laisser entrer 1.200 étudiants en première année alors qu’il n’y a que 505 numéros à la sortie c’est une provocation ! De plus, les doyens de facultés alertent régulièrement le monde politique : ils ne peuvent pas accueillir 2.000 ou 3.000 étudiants en stage, car c’est la qualité de la formation qui est en jeu ».6Le cas particulier de l’année 2022Un concours c’est bien (pour ceux qui adhèrent au principe). Un concours « solide » légalement c’est mieux. Echaudés par les multiples recours en justice déposés contre leurs précédents filtres, les francophones ne prendront pas le risque d’organiser une telle épreuve l’été prochain. « Il nous faut donc un texte juridiquement irréprochable mais il faut aussi que tous les candidats soient prévenus longtemps à l’avance. Le travail pour la création du décret va donc commencer immédiatement ». En conséquence, cet été, les candidats aux études de médecine bénéficieront encore de l’examen d’entrée en vigueur depuis deux ans. Pas question pour autant d’ouvrir grand les vannes. Dans le cas où le nombre de lauréats dépasserait le nouveau quota officiel (augmenté du taux de déperdition) la Fédération Wallonie-Bruxelles prévoirait un mécanisme rapide (étalé sur trois ans maximum) de résorption de l’excédent.Point final ? « Ça fait 20 ans qu’il y a des polémiques en tous sens, des procès en tous genres, les problématiques des reçus-collés, les drames en fin de première année… Ici on va travailler en partant réellement des besoins du terrain. On remet le système sur ses pieds, c’est beaucoup plus sain. Je m’engage sur le concours en 2023. Frank Vandenbroucke s’engage sur l’objectivation des besoins. Dans ce dossier, il s’est comporté en homme d’Etat ».

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