« Crowdlending » : entre ubérisation et démocratisation du crédit

Avec le « crowdlending », une « foule » d’individus accorde un prêt à un porteur de projet en échange d’un rendement. Pour les investisseurs, il s’agit d’une alternative aux produits financiers classiques des banques privées, jugés déconnectés de l’économie réelle. Or, malgré des rendements élevés, la pratique comporte des risques. Tour d’horizon du crowdlending en dix points.1« Crowdlending » versus « crowdfunding par equity »Dans une opération de crowdlending, l’investisseur souscrit à un prêt dont la durée et les intérêts sont définis à l’avance. L’Autorité des services et marchés financiers (FSMA) estime qu’en 2020, 70 % des campagnes de financement participatif avaient recours à ce type de financement par endettement. Selon Marek Hudon, professeur à Solvay, « les entreprises pourraient se tourner vers le crowdlending, car par rapport à l’equity, il permet plus d’indépendance ». En effet, dans le crowdfunding par equity, l’investisseur souscrit à des parts de capital, lui donnant droit à des dividendes, et éventuellement, à un pouvoir de décision.2Les plateformes : des intermédiaires digitauxEn Belgique, quatre plateformes se spécialisent dans le crowdlending : Look&Fin, Ecco Nova, BeeBonds et Bolero. Elles jouent un rôle d’intermédiaire, notamment en présélectionnant les projets. « On a un taux de sélection drastique : sur 500 à 700 demandes de financement par mois, on en retient environ 1 % », estime Frédéric Levy Morelle, CEO de Look&Fin. Les plateformes ne font pas de conseil, mais attribuent des notes aux prêts et publient des notes d’information pour guider les investisseurs, le tout en ligne.3Une démocratisation des placementsVariable selon les projets et la plateforme, le ticket d’entrée s’élève en général à quelques centaines d’euros. Au-delà du prix, Joël Duysan, CEO de BeeBonds, souligne la simplicité de la démarche d’investissement : le prêteur ne doit pas disposer de comptes-titres et choisit lui-même les projets qu’il souhaite soutenir. « C’est vraiment démocratiser la finance privée », tranche-t-il. Et ce d’autant plus que tous sont logés à la même enseigne. « Contrairement à une banque traditionnelle, où un patrimoine plus important donne accès à des conditions avantageuses, ici, celui qui souscrit 100 euros le fait aux mêmes conditions que celui qui investit 5 millions », précise Frédéric Lévy Morelle.4Une source de financement complémentaire ou alternative pour les PME…Malgré la remontée des taux, se financer par crowdlending reste plus onéreux que l’emprunt bancaire. « Mais les banques ne remplissent pas tous les besoins de financement, donc le crowdlending complète le marché », résume Marek Hudon. Il s’adresse ainsi à ceux qui ne répondent pas aux critères d’emprunt, mais également à ceux qui voudraient diversifier leurs sources de financements. Enfin, dans certains secteurs, comme l’immobilier, la dette citoyenne peut servir à atteindre les fonds propres requis par la banque pour obtenir un crédit.5… et un outil de communicationLe crowdlending peut, par ailleurs, s’inscrire dans une stratégie de communication. « Avec un appel public à l’épargne, le projet devient public et c’est une publicité impressionnante pour le porteur de projet », explique Joël Duysan. Il s’agit non seulement de communiquer sur ses valeurs, mais aussi de constituer un réseau de futurs clients. Pour Pierre-Yves Pirlot, cofondateur d’Ecco Nova, le crowdlending peut même favoriser l’adhésion à des projets « où il y a beaucoup d’opposition citoyenne, comme l’éolien ».6Un investissement localDu côté des investisseurs, un des intérêts du crowdlending est son lien direct avec l’économie réelle, entrepreneuriale et locale. Frédéric Lévy Morelle estime ainsi que leurs plateformes travaillent en circuits courts, permettant à l’investisseur de mieux comprendre ce dans quoi il place son argent : « On ne prête pas dans un fonds d’investissement nébuleux, non, on prête directement à l’entreprise. » Joël Duysan considère, lui, qu’on se trouve « à l’aube d’un nouveau paradigme financier » où les investisseurs maîtrisent leurs investissements et mesurent leur intérêt sociétal. « Une transaction boursière n’est qu’un rachat d’action que quelqu’un détenait avant vous. D’un point de vue sociétal, il n’y a pas de création de valeur, il y a un échange de tickets de loto », déplore-t-il.7Un rendement qui reflète le risqueMais ce sont aussi les rendements, atteignant parfois les 8 ou 9 %, qui attirent les prêteurs. Des taux élevés, qui sont toutefois à nuancer. Premièrement, ils sont exprimés en taux bruts. Les personnes physiques résidentes en Belgique doivent donc y soustraire le précompte mobilier de 30 %. Deuxièmement, tout rendement correspond à la rémunération d’une prise de risque. « Les rendements sont attractifs, mais ils ne sont pas artificiellement élevés, ils reflètent un risque. La plateforme met toute son expertise et sa documentation à disposition pour accompagner le prêteur, mais il ne faut pas oublier que tout investissement comporte des risques », met en garde Pierre-Yves Pirlot.8Le maître mot : la diversificationFace au défaut de paiement de l’emprunteur ou à la non-vente dans le cas d’un projet immobilier, le prêteur risque ainsi de perdre l’intégralité ou une partie de son placement. Pour mitiger les risques et éponger les pertes potentielles, les prêts peuvent être assortis de sûretés, telles que des hypothèques ou des gages mobiliers. En contrepartie, le rendement sera moins élevé, passant de 8 % à 3 % en moyenne selon Pierre-Yves Pirlot. Mais la meilleure manière de se protéger, rappellent les plateformes, reste la diversification, aussi bien entre projets qu’avec des produits plus classiques. « La répartition doit se faire en fonction du profil de risque et être homogène. Il ne faut pas un prêt de 100 euros et les autres à 1 euro », ajoute Frédéric Lévy Morelle.9Deux incitants fiscauxEn Belgique, deux incitants fiscaux s’appliquent au crowdlending. D’une part, les prêts régionaux (Coup de Pouce en Wallonie, Proxi à Bruxelles et Winwinlening en Flandre) permettent aux PME d’emprunter aux citoyens à taux bas. Les souscripteurs, eux, reçoivent un crédit d’impôt et bénéficient d’une garantie régionale de 30 à 40 % sur le solde restant de leur prêt. D’autre part, le Plan start-up permet, sous certaines conditions, au prêteur d’une entreprise débutante de bénéficier d’une exonération du précompte mobilier sur ses intérêts bruts perçus.10Vers un marché européen du crowdlendingEnfin, une nouvelle réglementation européenne, dont la période transitoire s’achèvera en novembre prochain, permettra aux plateformes d’opérer au niveau européen. « Notre agrément était belgo-belge, donc la réglementation ouvre de nouvelles perspectives de marché, tant bien du côté des investisseurs que du côté des PME », se réjouit Frédéric Lévy Morelle. Une ouverture qui risque toutefois de se traduire en concurrence accrue sur le marché domestique et en concentration.

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