Traite des êtres humains Un dossier judiciaire devenu politique Trafics de visas sans trafiquant Les menaces de Michel

Traite des êtres humains Un dossier judiciaire devenu politique Trafics de visas sans trafiquant Deux affaires de trafics de visas et de cartes de séjour secouent les Affaires étrangères. Louis Michel refuse cependant l'idée d'une commission d'enquête parlementaire. MARTINE VANDEMEULEBROUCKE Le vice-premier ministre et ministre des Affaires Etrangères Louis Michel a été entendu lundi après-midi par la sous-commission «Traite des êtres humains». Officiellement, l'entretien - qui s'est déroulé à huis clos - portait sur la «politique des visas». En réalité, les sénateurs avaient pas mal de questions à poser sur une énorme affaire de fraude aux visas qui implique directement l'ambassade de Belgique à Sofia entre 95 et 97 (l'affaire Rouvroy), mais aussi le service du Protocole des Affaires étrangères à Bruxelles sur un autre dossier de trafic de cartes de séjour (l'affaire Lebbe).Louis Michel est venu à sa demande. Il réagissait aussi à la proposition de plusieurs sénateurs de créer une commission d'enquête parlementaire sur cette affaire qualifiée de bizarrerie par le Centre pour l'égalité des chances dans son tout dernier rapport annuel sur la traite des êtres humains.Rétroactes: en 1995, Myrianne Coen, alors première adjointe de l'ambassadeur à Sofia dénonce un trafic de faux visas à l'ambassade de Belgique. Pas de réaction. Elle se constitue partie civile en décembre 96. L'affaire n'est mise à l'instruction par le parquet de Bruxelles qu'en avril 97. Pendant 16 mois, quatre juges d'instruction se succèdent sans qu'à aucun moment, le principal protagoniste, l'ambassadeur Koenraad Rouvroy ne soit interrogé. En mars 98, le Centre pour l'égalité se constitue partie civile sur base de la loi réprimant la traite des êtres humains. Lorsqu'il demande l'accès au dossier, le juge d'instruction menace aussitôt le directeur du Centre, Johan Leman, de perquisitionner chez lui. Le 7 juin 2000, le Parquet, sans motif, change la langue de l'instruction et désigne un (sixième) juge, neerlandophone cette fois. Ce qui risque d'entraîner l'annulation de l'instruction. En novembre, le Parquet reconnaît qu'entre 1995 et 1997, au moins 500 visas ont été irrégulièrement délivrés par l'ambassade de Belgique. Il apparaît que c'est l'ambassade elle-même qui organisait le trafic.Elle s'adressait à des entreprises en Belgique, leur demandant d'inviter des ressortissants bulgares. Une des sociétés belges bénéficiaires était spécialisée dans la distribution de cassettes porno et travaillait avec un groupe mafieux bulgare actif dans le même secteur.Ce lundi, au moment même où la Commission de l'Intérieur du Sénat entendait Louis Michel sur le rôle des Affaires étrangères, les avocats de la diplomate Myrianne Coen ont déposé un recours auprès de la Cour européenne des Droits de l'Homme à Stasbourg. Les avocats, Jean-Maurice Arnould et l'ex-juge anti-mafia Ferdinando Imposimato estiment en effet être confrontés à une volonté délibérée de la Justice belge de ne pas vouloir instruire ce dossier ou de tout faire pour entraîner sa nullité.L'autre dossier implique cette fois directement le service Protocole du ministère des Affaires étrangères. Un fonctionnaire, Edwin Lebbe, a reconnu avoir délivré contre rémunération au moins 300 cartes de séjour - ses collègues parlent de 3000 - à des ressortissants de l'Europe de l'Est soupçonnés d'entretenir des liens avec la mafia russe. Une des clientes fut la société Itera, une société soeur de Gazporm, un empire d'affaires mafieux russe. Ici aussi,le Centre pour l'égalité des chances s'est constitué partie civile. Trop d'élémentsindiquent une possibleinfiltration des institutions belgespar le crime organiséContrairement à l'affaire Rouvroy, le dossier Lebbe est instruit «normalement». A une nuance près: Je crains que l'affaire ne reste centrée sur ce seul fonctionnaire , nous dit le directeur du Centre. Entre 92 et 97, des centaines de cartes de séjour ont été délivrées irrégulièrement. Peut-on imaginer que Lebbe ait agi seul? Lorsque l'affaire a éclaté, seul Lebbe - qui était le plus bas dans la hiérarchie - a été remercié. Ses supérieurs ont été promus.Pour Johan Leman, instituer une commission d'enquête parlementaire vaudrait la peine. Pour lui, trop d'élements convergent pour indiquer une possible infiltration des institutions belges par le crime organisé. Et de citer encore la toute récente affaire de corruption au sein de la Commission des naturalisations organisée, encore, par des Russes d'Anvers. Ce n'est pas normal. Si j'était politicien, je m'inquièterais , dit-il. D'autant plus que rien n'indique que les trafics aient disparus. Dans son dernier rapport, le Centre note que le 15 décembre 2000, un fonctionnaire de l'immigration belge rapportait après son séjour en Bulgarie qu'il existe un véritable commerce de visas Schengen vendues le plus souvent par des agences de voyage. Les agences en question se procurent frauduleusement ces visas auprès des ambassades des pays Schengen. Les menaces de Michel Créer une commission d'enquête parlementaire sur la traite des êtres humains qui se pencherait notamment sur la politique d'attribution des visas? Pas question, a dit Louis Michel aux sénateurs de la sous-commission de l'Intérieur du Sénat. Les propos ont été très vifs , disent pudiquement certains sénateurs. En fait, le vice-Premier ministre PRL a carrément menacé (hurlé, précisent d'autres) d'en faire une question de gouvernement. Une menace qui a elle-même provoqué des tensions au sein de la sous-commission, l'opposition accusant la majorité de plier l'échine devant les «ukazes» du ministre des Affaires étrangères. Les sénateurs n'ont pas tranché définitivement. Ils verront la semaine prochaine leurs collègues de la commission sur le crime organisé pour vérifier si leurs champs d'investigation respectifs ne se recoupent pas. Pour le reste, c'est le Parlement qui décide , résume Frans Lozie (Agalev). Louis Michel estime qu'une commission d'enquête parlementaire jetterait le discrédit sur son seul département alors que la sous-commission du Sénat estime que plusieurs administrations de l'Etat pourraient être impliquées. Il propose que les membres de son administration répondent aux sénateurs sur les moyens mis en oeuvre pour contrôler leurs services. Sur les affaires «Lebbe» et «Rouvroy», Louis Michel n'a fait que répéter qu'il n'était en rien responsable des lenteurs de la Justice. Le parquet de Bruxelles a certes reconnu qu'un trafic de faux visas avait bien eu lieu à l'ambassade de Belgique, mais sans identifier un ou des coupables. Impossible donc, dit le ministre, de sanctionner quiconque. Idem pour l'affaire Lebbe. Pourquoi avoir promu certains des membres du service incriminé? Ici encore, dit Louis Michel, on n'a pu prouver aucune complicité. M. Vdm.

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