« Strip-Tease » : la RTBF devrait
faire des concessions aux créateurs

Petit coup de théâtre dans le feuilleton estival déclenché la semaine passée, à la suite de l’annonce de la vente de Strip-Tease à la chaîne privée française RMC Story. Pour rappel, jeudi passé, Marco Lamensch et Jean Libon, les créateurs de Strip-Tease (en 1985), s’indignaient d’apprendre que leur « bébé » allait être exploité dès le 27 juillet par une société belge de production, Matchpoint, sans avoir été ni avertis ni consultés préalablement.Dimanche, André François, autre mousquetaire de l’émission culte, faisait entendre sa voix, non sans colère, en s’alarmant d’une « vente des bijoux de famille du service public ».Lundi, toujours dans nos colonnes, la RTBF réagissait en rappelant que son attachement à l’émission Strip-Tease était intact. Pour preuve, observait Axelle Pollet, porte-parole du navire Reyers, « nous démontrons avec la reprise de Strip-Tease que nous sommes soucieux de faire perdurer la qualité narrative propre au service public ».Droits moraux incessiblesLibon, dont le travail récent vient d’être récemment récompensé aux César et aux Magritte (Ni juge ni soumise, coréalisé avec Yves Hinant), Lamensch et François évoquaient la possibilité d’actions juridiques. Aucune chance d’être entendus, nous murmurait-on à la RTBF. « En entrant à la RTBF, tout employé cède ses droits patrimoniaux. » Traduction : Strip-Tease appartient à la RTBF, pas à ses deux créateurs.Les choses doivent être en fait nuancées, notamment parce que le règlement de travail auquel la RTBF fait référence est celui d’après 1994, près d’une décennie après la création de Strip-Tease.A l’analyse, les contestataires, qui devraient prendre un conseil à Bruxelles et à Paris, ont vraisemblablement des droits à faire valoir.Nous avons consulté la Scam (Société civile des auteurs multimédia), chargée de protéger les droits des auteurs. Ce qui ressort d’emblée de ce dossier, nous dit-on, c’est que les droits moraux des auteurs (c’est-à-dire de paternité et d’intégrité) sont incessibles et pourraient en ce sens être invoqués par Libon et Lamensch, si un problème devait se poser, ce qui reste bien sûr à examiner par le visionnage des émissions réalisées par les nouveaux producteurs, à qui la RTBF a vendu un concept journalistique et documentaire.La paternité des auteurs de Strip-Tease est établie et reconnue en Belgique, comme en dehors de nos frontières et au sein de la RTBF, depuis très longtemps. « Cette paternité s’applique notamment au titre et au développement très précis du concept de Strip-Tease », nous dit-on.Emission déprogrammée ?Si la RTBF vend aujourd’hui le concept de Strip-Tease à RMC, c’est bien sur ce dernier que Libon et Lamensch auraient donc au moins leurs droits moraux à faire valoir.Si leurs intérêts ne sont pas respectés, les deux hommes auront la possibilité de faire appel à un tribunal en charge du droit d’auteur… qui pourrait décider dans l’urgence de déprogrammer la nouvelle émission. On en est donc là : la programmation prochaine du nouveau Strip-Tease, le 27 juillet, pourrait être mise en question.La crainte de Libon et Lamensch ? Qu’on utilise la « marque » Strip-Tease pour vendre au public un produit audiovisuel qui détournerait l’esprit et l’ADN originel. Les auteurs s’inquiètent en outre, commente-t-on à la Scam, d’une absence de moyens du nouveau Strip-Tease, qui serait préjudiciable à la qualité et à la déontologie journalistique d’un projet qui s’est avéré « une référence » du service public durant près de trois décennies (1985 – 2012) et qui a été un énorme succès d’audience.En résumé ? Marco Lamensch et Jean Libon ont le droit moral pour eux. Si on ne respecte pas ce droit, c’est-à-dire la paternité et l’intégrité, ils pourraient avoir des moyens d’intervenir. Ces droits sont incessibles, la RTBF le sait.Reste les droits patrimoniaux. Ici, on est face à une alternative. Si Lamensch et Libon ont cédé leurs droits, une rémunération leur sera due sur le montant de la vente du concept à RMC.Dans le cas inverse, si la cession à l’origine des droits d’exploiter le concept n’a pas couvert le cas d’un projet extérieur au service public (ce qu’une analyse détaillée devrait confirmer ou infirmer), la RTBF a tout loisir de céder son droit voisin de producteur audiovisuel à qui elle le souhaite.La Scam pourrait jouer les médiateursMais Libon et Lamensch pourraient refuser de céder, dans les mêmes termes, leurs propres droits, pour des motifs non abusifs, s’ils craignent par exemple une rupture dans la qualité documentaire, ou de la déontologie journalistique, un élément fondamental pour cette émission qui « met en scène » des personnes réelles dans leur milieu. Il ne serait pas absurde de prévoir des dispositions en ce sens dans la cession aux nouveaux producteurs.La Scam, qui compte parmi ses affiliés Lamensch, Libon, André François et tant d’autres auteurs-réalisateurs de la RTBF, pourrait jouer, dans ce dossier épineux, un rôle de médiation entre la RTBF et les mousquetaires. Ses accords avec la RTBF le prévoient.« Il nous est déjà arrivé d’aider des auteurs et la RTBF à se mettre autour d’une table pour trouver un accord. » Espérons que la sagesse l’emportera, souhaite-t-on du côté de la Scam, car Strip-Tease est « un patrimoine considérable et partagé, commun à la RTBF et à ses auteurs, qui pourrait permettre à de nombreux autres projets de voir le jour, moyennant le respect des droits et intérêts légitimes de toutes les parties ».

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