Et si le «Walen buiten» avait été positif pour la Wallonie?
Pour le directeur de l’Institut Jules Destrée, Philippe Destatte, la scission entre l’UCL et la KUL a finalement créé une émulation positive entre elles, bénéfique pour les deux universités.


Et si, avec le recul, les manifestations flamingantes dans les rues de Louvain furent la meilleure chose qui arrivât non seulement à l’UCL, mais à la Wallonie ? L’hypothèse est certes provocatrice, mais quand on voit le pôle de compétences et de développement scientifique, technologique et culturel qu’est devenu, ex nihilo, Louvain-la-Neuve, elle mérite d’être posée. Nous l’avons testée face à l’historien et perspectiviste Philippe Destatte, directeur de l’Institut Jules Destrée et titulaire du cours d’histoire de Belgique à l’Université de Mons.
Les francophones ont-ils été pris de court en janvier 68 ?
Disons que l’action des étudiants flamands en 1968 a surtout permis de convaincre le PSC-CVP et le monde catholique encore très unitaire que « le moment était venu ». Mais dans les faits, certains concevaient le projet d’une université en Wallonie depuis la fin des années 50 et dès 1962, le bourgmestre d’Ottignies, Yves du Monceau de Bergendal, et l’administrateur général de l’UCL, Michel Watrin, proposaient une implantation à Ottignies. De son côté, à la même époque, une personnalité emblématique comme le chanoine Leclercq plaida pour que l’Université de Louvain sorte de ses problèmes linguistiques « par le haut ». Et pour lui, c’était s’inspirer du modèle de l’Université de Californie, qui était une université qui n’était pas liée à une ville mais à un pays, un Etat, avec des implantations multiples, et qui avait une vocation internationale.
C’est intéressant, parce que cela montre que derrière des problèmes linguistiques que l’on peut juger comme « des margailles belgo-belges », un certain nombre de personnes – on pourrait aussi citer Robert Royer, le président de Rénovation wallonne – rêvaient, avec une ambition extraordinaire, de réaliser tout à fait autre chose. Et ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que c’est ça qui s’est passé, même si le « polycentrisme » ne sera réalisé que dans un deuxième temps, à Mons, Tournai, Charleroi, Woluwe et Saint-Gilles.
Début 68, l’idée que l’UCL et la KUL divorcent n’est pourtant pas passée comme une lettre à la poste…
Il y a toute la logique des évêques, toute la logique du rapport entre Jan Verroken
Le traumatisme de la séparation (habituellement illustré par le fameux partage des ouvrages de la bibliothèque centrale de Louvain, en 1971, sur la base des cotes paires pour l’UCL et impaires pour la KUL) a-t-il été réel ou exagéré ?
Ce traumatisme est une réalité pour un certain nombre de gens qui l’ont vécu. Les affrontements ont quand même été extrêmement durs. Il y a eu une vraie violence, y compris entre des gens qui étaient liés par une foi commune mais qui ne parvenaient pas à s’entendre. Mais il y a eu aussi de l’émulation : « On va leur montrer… », ce qui s’est révélé une concurrence intéressante, car elle a poussé chacun dans sa capacité d’aller plus loin. Et puis d’autre part, UCL et KUL ont su garder des liens privilégiés. Il suffit de voir, aujourd’hui, les programmes de recherches et les doctorats, où on se parle dans les deux langues, à Louvain-la-Neuve, en collaboration avec des gens de la KUL, sans aucun état d’âme…
Une occasion ratée, tout de même, de créer une grande université pluraliste en Wallonie ?
C’est une idée intéressante, qui a été très portée dans les années 60, comme une alternative, en disant :
À l’époque, outre le Brabant wallon, on étudia la possibilité d’implanter l’université dans le Hainaut. Quand on voit ce qu’est devenue la région d’Ottignies, on peut se demander comment aurait pu évoluer une région comme Charleroi…
Il y avait effectivement une grande ambition d’aller dans le Hainaut de la part du comité mis en place pour arrêter un lieu d’implantation, mais c’est manifestement le manque d’enthousiasme et d’accueil des laïcs et des socialistes qui a fait qu’on y a renoncé. Pour répondre à votre question, si on fait cette uchronie, on peut aussi se demander si le dynamisme de Louvain-la-Neuve aurait pu se réaliser à Charleroi, ou s’il n’aurait pas été étouffé…
En 1972, Paul Lévy, qui était à l’époque doyen de la Faculté des sciences économiques, disait avec un certain lyrisme :
À la même époque, en 68, dans « le camp d’en face », l’ULB aussi se scindait…
Effectivement, et pour les mêmes raisons. Le divorce UCL-KUL tombe le 6 juillet 1968 et le 13 décembre, l’ULB décide de se dédoubler avec la création de la VUB. La VUB qui va disposer, elle aussi, de moyens financiers et de terrains fonciers à des prix très concurrentiels sur le campus de la Plaine. L’attention des différents ministres aux différentes universités fait qu’il y a eu des compensations et que l’équilibre s’est maintenu.
En collaboration avec l’ULB, Le Soir propose ce samedi 20 janvier un supplément spécial « 1968-2018, 50 ans de contestation ». 50 ans après, comment l’assassinat de Martin Luther King ou le printemps de Prague ont-ils bousculé la société ?
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J'étais aussi étudiant à Louvain en 1968. J'ai assisté effectivement à des scènes d'une grande violence. Mais je me souviens aussi que les hordes d'étudiants flamands criaient aussi "Bourgeois buiten !" Pas uniquement "Walen buiten!" Je n'ai donc pas été surpris par ce qui s'est passé quelques mois plus tard, en mai 1968. Paul Goossens, le leader du mouvement étudiant flamand a d'ailleurs expliqué un jour qu'il avait été invité le 22 mars à Nanterre pour expliquer aux Français comment il fallait agir. C'est à ce moment qu'est né le "Mouvement du 22 mars" de Daniel Cohn Bendit ...
Les flamands râlaient assez en découvrant les nouveaux auditoires, les labos modernes et les équipements flambants neufs de LLN
Il fallait trouver une solution à la surpopulation de l'université avec les 2 régimes linguistique. Malheureusement la politique s'en est mêlée, alors que cela pouvait se régler pacifiquement, c'est cela a créé les problèmes.
C'est dans l'intérêt de TOUS les voisins de la Wallonie que notre Région devient prospère. Un voisin riche achete plus qu'un voisin pauvre. Cessez cette jalousie stérile de tout ce qui est Flamand, nous avons deja perdu trop d'énergie dans cette guerre linguistique ridicule. Les seuls gagnants ont été les très nombreux politiciens que nous devons entretenir aujourd'hui. Les Wallons doivent être plus ambitieux et avoir plus de confiance en eux mêmes.
J'étais étudiant ingénieur francophone à l'époque du 'Walen Buiten' . Il était évident que avec l'augmentation du nombre d'étudiants cela devenait intenable. Quand on voit l'évolution de la ville de Leuven actuellement c'est une réussite.